Les tisserands à l’oeuvre


Le groupe d’adultes devise à l’ombre d’un palmier. L’enfant trouve cet arbre sinistre : son tronc interminable ressemble à une succession de grosses écailles dont la taille diminue au fur et à mesure qu’on monte en altitude. Tous les palmiers ont une histoire similaire : les palmes vieillies finissent par se détacher, laissant sur le tronc la trace de leur emplacement. Le résultat est une sorte de crocodile vertical, sans gueule souriante et sans pique-bœufs nettoyeurs. Le faîte garde un plumet de verdure, parfois situé à grande distance du sol.


La haie est beaucoup plus vivante ! Que d’oiseaux ! Ils ont envahi le bord du jardin et une partie de la savane adjacente. Il ne reste plus que quelques feuilles par ci par là. Les branches dénudées portent plusieurs nids et dessinent un canevas étrange dans le ciel séraphique.


Ce matin très tôt, leur nuage s’est abattu sur les lieux, ce sont des tisserins. Acrobates géniaux et travailleurs infatigables, ils ont fabriqué leur nid en un "tournebec" ! Pour y arriver, ils ne se sont pas gênés de ravager le feuillage des arbres hôtes. Ils ont aussi pillé des essences voisines qui possèdent des feuilles faciles à manipuler. "Quand ils sont nombreux, ils provoquent déjà des dégâts ! Mais aujourd’hui, on peut parler de sinistre total ! Ils sont pires que des criquets ! Si le Major voyait cela !


En attendant, voici le jeune explorateur, qui échappe encore une fois à la surveillance maternelle ! Attiré par cette effervescence spectaculaire, il se promène sous la ville aérienne. Quel boucan ! Assourdissant, si énorme qu’il traverse la tête ! Il couvre même le bruit du gros moteur générant l’électricité, à l’abri dans un réduit à l’écart de la maison.


Observer, la tête vers le haut, l’incessant va-et-vient de ces artisans infatigables engendre à la longue une impression de vertige et l’enfant choit bientôt sur le postérieur. Il reste dans cette position, de toute façon moins risquée, et s’amuse du tintamarre, rit des poursuites entre voisins irascibles, montre du doigt les têtes des femelles qui dépassent des ouvertures pour détailler ce petit mammifère d’un œil inquisiteur, puis de l’autre. De la taille d’un gros moineau, ils disposent d’un bec épais et noir. Ils éclaboussent la végétation de couleurs vives. Les femelles sont jaune vif et beaucoup d’entre elles ne quittent déjà plus leur chambre nuptiale. Leurs prétendants sont nippés comme des princes ! Leur plumage chatoyant offre une palette de couleurs allant du noir métallisé pour la tête, la nuque et la bavette, au même jaune que celui de leur compagne pour le cou et le ventre. Des plumes jaunes et noires couvrent le dos et les ailes, alternent en dessinant des motifs réguliers. Détail impressionnant, ils ont l’œil rouge, ce qui leur donne la mine d’une colère perpétuelle.


Que de mouvements ! On dirait qu’ils ne peuvent rester en place plus d’une seconde. Certains n’ont pas encore fini leur ouvrage et doivent voler à tire-d’aile pour collecter des feuilles situées de plus en plus loin. Leur va-et-vient incessant emplit l’espace de

froufrous et de cris.Un choc mou et tiède chatouille son occiput. Il y porte la main,

tripatouille dans ses cheveux. C’est humide et visqueux. Il ramène le fruit de sa collecte et se retrouve devant une matière brunâtre avec des traces filandreuses blanchâtres,

presque liquide, dégageant une forte odeur peu agréable, mais dont l’apparence rappelle celle d’un dessert au chocolat avec de la crème à la vanille. Quel goût cela peut-il avoir ? Essayons voir ! Détestable ! Piquant ! Et astringent !


Il se lève, crachote l’immonde humeur, puis file vers la demeure familiale pour y chercher aide et assistance. Au dernier moment, il ralentit sa course et se détourne
du salon où les adultes se sont réfugiés. Il se dirige vers la cuisine dans l’espoir
d’y rencontrer Maama ou son mari, vaguement conscient que leur réaction sera
moins sévère que celle de Grand-mère. Il sent qu’il vaut mieux affronter une colline africaine que la forteresse anversoise !Hélas ! Personne dans la cuisine ! Il entre en douce dans la pièce de séjour mais est de suite repéré ! Des cris d’horreur féminins recouvrent à l’instant le chahut des passereaux.