Des pintades bien dodues


Tonton, le frère cadet de Maman, a le don d'amuser la galerie et d'exaspérer l’auteur de ses jours par ses plaisanteries débordantes d’imagination. Bien plus tard, de retour en métropole, il conduira une carrière militaire exemplaire, deviendra directeur d'une École du Génie sise sur les rives de la Meuse et terminera son parcours nanti d'un grade plus élevé que celui de son père. C'est dire qu’il deviendra un homme fort sérieux, mais à cette heure, c’est encore un jeune homme impétueux.


Il décide d'entraîner sa douce sœur, plutôt réticente, à une partie de chasse dans les clairières environnantes. Il la convainc d'emmener son rejeton, en fin de convalescence, promettant de le porter si ses petites jambes ne parviennent plus à suivre. L'air purifié par les orages, l'amour qu'elle porte à son frère, seule source de rire dans cette famille austère, et l'envie de sortir du train-train quotidien finissent par l'amadouer.


Voilà le trio sur les sentiers boueux, le chasseur en premier, suivi du garçonnet ravi. Ils chantent à tue-tête, ce qui est peu propice pour surprendre le gibier tapi dans les fourrés, camouflé dans les herbes hautes, terré au pied des arbres. Tous les animaux sont surpris et s’enfuient à l'écoute du tohu-bohu produit par le groupuscule de promeneurs.


Tous. Sauf neuf pintades juchées sur la branche la plus basse d'un arbre ancestral ! Elles apparaissent aux yeux éblouis et avides du jeune homme. Rangées comme des bouteilles dans l'armoire du pharmacien, aile contre aile, elles caquètent à qui mieux mieux, semblent apostropher les promeneurs. C'est arrivé si vite, au détour d'un bosquet proche, que la carabine n'est pas encore chargée. Fébrilement, le chasseur en herbe extrait des cartouches de ses poches, en laisse tomber dans une flaque d'eau, provoquant par son agitation un regain de criaillements de la part des gallinacés toujours immobiles. Enfin, il vise la rangée et tire !


De surprise, le bambin en tombe sur les fesses ! Deux ou trois pintades s'effondrent dans un nuage de plumes et les autres tournent la tête, criaillant de plus belle, toujours sans se déplacer. Sa sœur fascinée par la stupidité des oiseaux en oublie de surveiller son arsouille qui a trouvé que la boue plastique du bord de la flaque où il se vautre fait de merveilleux petits pâtés, garde longtemps l'impression de ses menottes aux doigts écartés, puis se dissout dans l'eau en fines et élégantes circonvolutions brunâtres.


Deuxième coup de feu, plusieurs autres victimes s'écroulent. Les survivantes commencent à voleter de branche en branche mais toutes n'échappent pas aux derniers tirs. Fier comme Artaban, l’oncle rassemble le butin dans un sac pendant que sa sœur découvre scandalisée que son petit garçon n’a pas encore intégré le devoir de propreté que tout enfant se devrait de conserver à l'esprit. Comme elle pouffe en même temps devant le spectacle de son bonhomme de boue, un coup d’œil attendrissant suffit à lui éviter toute remontrance excessive. Ce sera une toute autre affaire au retour, avec

Maama qui gère les lessives.


Le trio musarde encore un peu, de toute façon l'enfant est crasseux. Qui sait, le chasseur rencontrera peut-être un gibier plus combatif ? On se décide finalement à rentrer quand l’enfant commence à geindre et à traîner la patte.


De retour à la maison, un comité d'accueil attend Mars et Diane : le patriarche, impassible, leur mère, très ennuyée, un voisin mécontent et le jardinier hilare. "La chasse a été bonne ?" demande l'homme à la pipe à son fils intrigué. "Oui, j'ai tué sept pintades" annonce fièrement le fils. Le voisin gémit lamentablement pendant que le commandant garde son sérieux à grand-peine. "Tu es un grand chasseur ! Hélas, ce sont les pintades de Monsieur qui prenaient l'air derrière leur poulailler."


Illumination tardive : le frère et la sœur se regardent, déconfits. Voilà pourquoi ces volatiles idiots ne bougeaient pas ! Ils avaient l'habitude d'être nourris par l'homme. La gibecière sanguinolente est déposée sur le sol et le voisin se penche. Il découvre le massacre. Ses belles pintades rondouillardes ne sont plus qu'un amas de plumes rougies et chiffonnées, peu ragoûtant, avec ici et là, une aile cassée, un cou tordu, des yeux exorbités.


"Major, voyons !" Il essaye de susciter une approbation à son malheur qu'il n'obtient qu’à travers le regard compatissant de la Grand-mère. On partage les dépouilles équitablement entre les maisonnées et les boyeries mais le Major dédommage le propriétaire pendant que son fils disparaît pour nettoyer arme et gibecière. La jeune maman a moins de chance et se fait tancer pour son imprudence : le petit sort de maladie et il est trempé, où donc a-t-elle la tête ? Sans parler de la lessive et du récurage du petit souillon.


Le Major fera longtemps des gorges chaudes sur le talent de chasseur de son fils.

Pourtant bien réel car le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre ! "Sept pintades, cher ami, sept ! En trois coups de carabine : pourriez-vous en faire autant ?"